En tant qu’artiste impliqué dans le jeu vidéo et le cinéma, mais aussi en tant que rédacteur pour le site de l’œil carnivore, j’ai depuis plusieurs années cultivé un certain regard et lu de nombreuses réflexions sur les arts et les jeux vidéo. J’essaye de garder un point de vue ouvert et conciliant sur le sujet. Mais dernièrement, j’ai vraiment été choqué par la polémique sur « La fin de la série Mass Effect ».
L’une des possibles définitions d’un art, c’est qu’il induit des sentiments chez celui qui y assiste. Comment est-il donc possible qu’en 2012, certains pensent encore que le jeu vidéo n’est pas un Art ? Les jeux vidéo tout comme le cinéma sont des regroupements d’arts (musique, dessin, peinture, sculpture, photographie, cadrage, montage, littérature…) le tout condensé dans une œuvre finale numérique accessible au public.
Un jeu comme Mass Effect 3 ne déroge pas à la règle, on y ressent des sentiments, on y rit, on y pleure, on suit une histoire dans laquelle on est impliqué et avec laquelle on interagit. C’est ce qu’on appelle « une œuvre d’art interactive » ou plus précisément pour ceux qui l’auraient oublié « un jeu vidéo ». Elle est la propriété des artistes qui l’on conçut, reflet de leurs points de vue et de leurs différents concepts. Dans le cas de Mass Effect 3, c’est une œuvre de commande réfléchie et établie par des centaines d’artistes employés par le Studio Bioware. Comme toute forme d’arts commercialisée, l’œuvre a pour but de divertir, mais aussi d’apporter une rémunération à ses créateurs et à ses investisseurs. Contrairement au dire de certains, ce système de production artistique est semblable à celui de la musique et du cinéma. L’œuvre est ainsi tout à fait critiquable par le public et la presse, mais surement pas censurable.
Si l’on commence à cautionner la censure d’œuvres d’art sous divers prétextes (je n’aime pas, c’est nul, c’est inadmissible, c’est laid, la fin est pourrie, c’est juste pour faire du fric…) nous nous rapprochons du schéma d’un régime dictatorial. Je sais qu’a l’heure actuelle, il est courant que certaines personnes dites « bien pensantes » modifient et censurent les artistes prétextant des idéologies admises par le plus grand nombre tel que (ça engendre la violence, c’est sexuel, c’est contre nos idéologies religieuses, c’est dérangeant pour un tel ou une telle, ça dégrade la jeunesse…) démontrant que notre société capitaliste, soi-disant tolérante, s’enferme petit à petit dans une sorte de mouvement d’auto censure mut par la pression du plus grand nombre. Pour confirmer cette tendance, il suffit de voir les statistiques en dégringolade de la liberté de la presse à travers le monde. Malgré cela, j’ai longtemps cru que cette censure provenait de la politique et des religions dominantes et qu’une majorité de personnes avait compris à quel point il fallait éviter que ces dérives affectent les arts.
Pourtant, à la vue de la polémique qu’ont engendrée les 3 fins de Mass Effect 3, je n’ai pu que constater qu’une majorité n’avait absolument pas intégré les concepts de base dont je viens de parler. Bien au contraire à lire les forums et les revendications qui inondent le Net, la demande globale est de produire une modification, voir même un changement radical quant à la fin du titre. Que des gens soient fan des Mass Effect de Bioware, c’est une chose, que cette œuvre ne soit pas à leur convenance, c’est leurs droits, mais qu’ils fassent pression sur l’éditeur pour que l’œuvre s’accorde à leur exigence, c’est ce qu’on appelle de la « censure ».
Bien sûr que les 3 fins de Mass Effect 3 sont discutables. Certains y verront de belles fins métaphysiques, laissant place à l’imagination, d’autres seront déçus de ne pas avoir eu un combat épique contre un boss quand certains auraient aimé en savoir plus sur les implications de leurs actions durant la partie. Ces revendications sont intéressantes, mais elles n’ont aucun poids à faire valoir face au choix artistique des concepteurs du jeu. C’est leurs visions de leur œuvre et pas la vision qui plaira à une majorité du public.
Que la fin soit bâclée, incohérente, qu’elle soit à l’encontre des 3 jeux, qu’elle rompe avec les promesses annoncées, qu’elle soit tout simplement ridicule, que le scénariste principal ai été évincé à des fins commerciales ou même qu’elle soit un écran noir orné d’un sexe, une fois l’œuvre finie elle représente la vision des artistes, que cela plaise ou pas, ça n’est pas de notre droit d’y instiller une modification.
Bioware et Electronic Arts ont eu une réaction intelligente en proposant la sortie d’un contenu additionnel téléchargeable gratuitement. Ce contenu rajoutera un complément d’information sur les implications des choix des joueurs, satisfaisant les mécontents tout en préservant l’optique artistique des concepteurs. Dans un respect des droits d’auteurs, ces fins se doivent de rester comme elles ont été envisagées à l’origine et étonnamment, dans ce cadre, le DLC prend un réel sens.
Des fins bizarres ou frustrantes, il y en a plus d’une, mais pour rien au monde je ne voudrais qu’on les change. Rappelez-vous la fin de manga comme Akira, Ghost in the Shell, Furikuri, Evangélion… ou celle de série comme Les Sopranos, Battelstar Galactica, Lost… sans parler des films, de la musique ou des livres. À partir du moment où l’on pose une fin à une œuvre, aux yeux de certains, celle-ci sera frustrante.
Il faut accepter que d’autres ne pensent pas comme nous et qu’ils n’aient pas les mêmes points de vue et ça à l’heure actuelle c’est de plus en plus rare.